En France, les laboratoires pharmaceutiques communiquent chaque année, les chiffres de ventes des médicaments vétérinaires contenant des antibiotiques à l’Anses-ANMV. Les données de ventes sont ensuite exprimées en quantité de matière active vendue et en poids viftraité,plus représentatif de l’exposition des animaux aux antibiotiques. Le tonnage d’antibiotiques vendus diminue (- 23 % entre 1999 et 2010), mais cette diminution ne correspond pasàune diminution de l’exposition des animaux aux antibiotiques. De fait, l’exposition des animaux aux antibiotiques a augmenté entre 1999 et 2007, et depuis 2008 une diminution de l’exposition a été constatée. Le suivi national est un outil simple de suivi quantitatif des consommations antibiotiques qui donne une vision macroscopique de l’usage des antibiotiques des animaux de rente et de compagnie. Le suivi national est complémentaire des enquêtes en élevage ou auprès de vétérinaires permettant de mieux comprendre les modalités d’usage et les facteurs susceptibles d’influencer les consommations.
Numéro 53 Bulletin épidémiologique
Editorial
Les médicaments destinés à l’Homme sont, depuis quelques années maintenant, de plus en plus souvent remis en question quant à leur efficacité, mais aussi quant à leur utilisation. Parmi eux, les antibiotiques et les anticancéreux font, dans une certaine mesure, encore exception. Les médicaments destinés aux animaux, et en particulier les antibiotiques, peuvent aussi poser question, notamment quant à leursmodes d’administration ou à leurs usages, avec le risque que les résistances sélectionnées chez des bactéries d’origine animale puissent ensuite être transmises à l’Homme. Mais nous verrons dans ce numéro que ce risque de transmission existe dans les deux sens.
A l’occasion de la Journée européenne de l’antibiorésistance de 2012 paraît ce numéro spécial du Bulletin Epidémiologique, intitulé « Antibiotiques et Antibiorésistances ». Ce numéro aborde les différents aspects de la problématique, en parallèle chez l’animal et chez l’Homme. Simultanément paraît en novembre 2012 un numéro spécial du BEH (Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire) sur le même sujet, dont nous ne saurions que trop vous recommander la lecture.
La consommation des antibiotiques en médecine vétérinaire est longuement abordée dans le premier article, et celle enmédecine humaine est résumée dans le second (on se reportera au BEH pour lire l’article complet). Les systèmes de surveillance chez l’animal et chez l’Homme font l’objet de plusieurs articles, ainsi que certains aspects spécifiques des résistances (notamment chez Escherichia coli, Salmonella, Staphylococcus aureus) et de leurs transmissions Homme-animal ou animal-Homme.
Soucieux des usages, notamment enmédecine vétérinaire (voir les articles sur les usages dans les principales filières d’élevage en France), et de leurs possibles conséquences sur l’émergence et la dissémination de résistances à des molécules aujourd’hui en nombre limité, les pouvoirs publics ont mis en place en médecine humaine et en médecine vétérinaire, tant au niveau national qu’au niveau européen, des « Plans Antibiotiques » qui vous sont présentés ici.
On a longtemps cru que le coût biologique de la résistance était tel pour les bactéries qui les portent que, sitôt la pression de sélection disparue, sitôt disparaissait la résistance. C’est bien loin d’être toujours le cas. Un article fait le point sur cette problématique qui doit, à terme, compter dans l’analyse de risque.
Enfin le numéro se termine en abordant dans un article de synthèse le problème crucial des échanges Homme-animal et animal-Homme des bactéries résistantes aux antibiotiques. Documenter ces évènements, les analyser et peut-être un jour les modéliser est un enjeu et un challenge pour la prochaine décade.
Pour terminer, nous voulons remercier très chaleureusement tous les auteurs, les relecteurs et les membres du Comité de rédaction dédié à ce numéro (voir en dernière page) qui, sollicités, ont accepté de contribuer à ce numéro spécial, point de départ nous l’espérons d’une réflexion, d’une surveillance et d’une évaluation continue et sérieuse du problème zoonotique majeur que constitue la résistance aux antibiotiques.
Le comité de rédaction
Au sommaire
Articles
Utilisation des antibiotiques chez les ruminants domestiques en France : résultats d’enquêtes de pratiques auprès d’éleveurs et de vétérinaires
Les études pharmaco-épidémiologiques permettent de compléter les données des ventes d’antibiotiques en décrivant les pratiques d’utilisation des antibiotiques en conditions d’élevage. Plusieurs enquêtes transversales ont été menées dans les filières de ruminants entre 2006 et 2012 au moyen de questionnaires portant sur les deux derniers traitements antibiotiques : auprès des vétérinaires et éleveurs bovins, des éleveurs ovins et des éleveurs et vétérinaires caprins. Des informations sur le contexte pathologique ayant motivé la prescription ou l’administration, les antibiotiques utilisés, le cadre médical de l’utilisation (interaction avec le vétérinaire, présence d’une ordonnance) et le respect de l’AMM ont été recueillies. Les molécules les plus utilisées dans les différentes filières de ruminants étaient identiques et appartenaient à des familles anciennes (pénicillines, aminosides, tétracyclines). Mais le recours aux céphalosporines de troisième et quatrième générations et aux fluoroquinolones était fréquent en filière bovine et non négligeable en filière caprine. Les utilisations d’antibiotiques hors AMM (pour l’indication d’espèce, de maladie ou pour le schéma thérapeutique) ont aussi été fréquemment évoquées.
Usage des antibiotiques en filières porcine, avicole et cunicole en France – résultats d’enquêtes
Les enquêtes conduites par l’Anses au cours des dernières années ont permis de décrire et quantifier l’utilisation des antibiotiques au sein d’échantillons d’élevages de porcs, volailles et lapins. D’importantes différences ont été observées entre filières dans la nature des familles antibiotiques majeures employées, la structure des populations et la part relative des forts utilisateurs dans les usages totaux. Mais il a été observé de manière constante une grande variabilité des usages entre élevages. Celle-ciapu être statistiquement associée à certaines caractéristiques des élevages (relatives à la biosécurité, aux règles d’hygiène et de zootechnie ouàla perception individuelle des antibiotiques). Les évolutions perçues au cours de la répétition des enquêtes ont montré que la réactualisation régulière des estimations est importante pour que les filières et les élevages disposent de références leur permettant de juger de leurs usages et de déterminer les évolutions souhaitées.
le réseau résapath de surveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes chez les animaux : évolution du réseau et des résistances depuis dix ans
Cet article décrit les évolutions ayant conduit le réseau Résapath (www.resapath.anses.fr) à acquérir aujourd’hui un positionnement central sur les enjeux liés à la résistance aux antibiotiques des principales bactéries pathogènes des animaux. Il présente également les principales tendances épidémiologiques dégagées en matière d’antibiorésistance chez l’animal,ycompris au travers de l’expertise moléculaire adossée à la collecte de données
Articles
Réseau MedQual : surveillance de l’évolution des résistances des souches d’Escherichia coli isolées en ville
L’objectif du réseau MedQual est de déterminerla sensibilité des souches bactériennes isolées à partir d’infections en milieu communautaire. Les données ont été recueillies depuis 2004 par MedQual, un réseau de laboratoires de biologie médicale. De 2004 à 2011, 254 223 souches d’E.coli isolées dans ces laboratoires ont été incluses. Elles provenaient essentiellement de prélèvements urinaires (98,7%). Cette surveillance confirme le caractère inquiétant de l’évolution de la résistance aux quinolones d’E.coli. En effet, pendant la période d’étude, la résistanceàl’acide nalidixique a augmenté progressivement (11,1% en 2004 et 16,1%en 2011 (P<0,001)). La résistanceàla ciprofloxacine a augmenté de 7,3% en 2006 à 9,8% en 2011 (P<0,001). Une augmentation avec l’âgeaété mise en évidence pour la résistance aux quinolones. Une augmentation du nombre de souches d’E. coli produisant une bétalactamineàspectre étendu (BLSE) est observée depuis 2008 (de 0,8%en 2008à2,4% en 2011). Nos données confirment la nécessité de surveiller l’émergence de ces souches en milieu communautaire. Une meilleure connaissance du comportement épidémiologique de ces bactéries multirésistantes contribuera à adapter les stratégies thérapeutiques à adopter vis à vis des traitements antibiotiques.
Les Plans de Surveillance de l’Antibiorésistance en santé animale : le contexte européen et les évolutions récentes
Afin de contribueràpréserver l’efficacité des traitements antibiotiques pour l’Homme, l’Union européenne a mis en place dès 2003 un programme de surveillance de l’antibiorésistance dans le cadre de sa politique de lutte contre les zoonoses. Cette politique repose sur de précédentes initiatives scientifiques, nationales ou internationales, ayant vu le jour progressivement dès la mise en évidence dans les années 1960 du risque pour la santé publique de l’apparition de bactéries résistantes suite à des usages non thérapeutiques d’antibiotiques.Apartir de 2007, l’Autorité européenne de sécurité alimentaire (EFSA) a produit plusieurs documents permettant d’harmoniser les méthodes d’échantillonnage, de détermination des phénotypes de résistance, de collecte et d’analyse des données au niveau européen. Les espèces bactériennes principalement surveillées sont celles responsables de zoonoses (Campylobacter et Salmonella), mais la surveillance s’est aussi étendueàdes bactéries dites indicatrices comme Escherichia coli et les entérocoques. Fort de cette expérience, le dispositif semble maintenant se diriger vers une plus grande précision des données épidémiologiques collectées et une augmentation du nombre de couples espèce bactérienne-espèce animale surveillés afin de mieux évaluerle risque pourla population de contracter des bactéries résistantes aux antibiotiques via son alimentation.
Articles
les plans de surveillance de la résistance aux antibiotiques de Salmonella, Escherichia coli, Enterococcus et Campylobacter mis en œuvre dans les filières animales en France
Depuis 1999, la Direction générale de l’alimentation (DGAL) du ministère en charge de l’agriculture et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail(Anses) surveillentla résistance aux antibiotiques, dans les denrées animales et d’origine animale. Chez les animaux de rente, cette surveillance concerne, Salmonella, Campylobacter, Escherichia coli, et les entérocoques et répond des exigences de la réglementation européenne. Ces plans de surveillance peuvent être mis en œuvre aux stades de l’abattoir, de l’atelier de découpe, de la distribution ou de l’élevage, pour les volailles, les porcs ou les bovins. Un réseau de laboratoires (comprenant des laboratoires départementaux et de l’Anses) réalise les analyses et détermine les profils de résistance des souches de bactéries isolées. Les résultats des dernières années sont présentés pour les céphalosporines de 3e et 4 e générations, les fluoroquinolones et les macrolides. Beaucoup de données ont été recueillies grâce à cette organisation, mais il serait utile d’harmoniser les systèmes de surveillance au niveau européen. Enfin, le dispositif français sera amélioré avec la mise en œuvre de plusieurs mesures du plan national de réduction des risques d’antibiorésistance en médecine vétérinaire.
les entérobactéries résistantes aux céphalosporines de dernières générations : de l’animal à l’Homme
Résumé Cet article a pour but de présenter un état des lieux rapide sur les entérobactéries animales résistantes aux C3G/C4G, et d’en discuter les conséquences pour l’Homme.
Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM) : un partage entre l’Homme et l’animal ?
Résumé La large dissémination des Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) en milieu hospitalier et dans la communauté constitue un problème majeur de santé publique. L’apparition chez l’Homme de souches issues du porc (CC398), ainsi que la découverte récente d’un nouveau variant du gène mecA chez les bovins notamment, prouve que ces pathogènes n’ont pas de stricte spécificité d’hôte. Cet article a pour but d’illustrer les exemples majeurs d’échanges de SARM entre l’Homme et l’animal.
Articles
Coût biologique et évolution de la résistance aux antibiotiques
La résistance aux antibiotiques chez les bactéries initialement sensibles est liéeàla présence de mutations chromosomiques ou à l’acquisition de gènes de résistance, souvent portés par des éléments génétiques mobiles, qui permettent à la bactérie de survivre voire de se multiplier malgré la présence d’un antimicrobien particulier. Ces modifications du patrimoine génétique s’accompagnent souvent d’un coût biologique pour la bactérie, qui peut se traduire par une moindre croissance in vitro ou des capacités de colonisation, de transmission ou un pouvoir pathogène réduit. Mais les bactéries développent fréquemment des mutations compensatoires ou des stratégies qui leur permettent de réduire ce fardeau et de retrouver leur compétitivité. Cette capacité d’adaptation, ainsi que d’autres phénomènes de sélection croisée ou de co-sélection, doivent nous faire redouter la persistance des bactéries résistantes même après l’abandon de l’utilisation de certains antibiotiques et nous inciter à un usage raisonné des antibiotiques.
Antibiorésistance : le passage animal - Homme, mythe ou réalité ?
Les risques de passage de l’antibiorésistance entre l’animal et l’Homme sont à l’origine des politiques publiques de réduction de l’usage des antibiotiques en médecine vétérinaire en France. Cet article propose un éclairage surles éléments scientifiques permettant de documenter la réalité de cette transmission.